• Bon dimanche !

     Le Pont Mirabeau

     

    Sous le pont Mirabeau coule la Seine
    Et nos amours
    Faut-il qu’il m’en souvienne
    La joie venait toujours après la peine.

    Vienne la nuit sonne l’heure
    Les jours s’en vont je demeure

    Les mains dans les mains restons face à face
    Tandis que sous
    Le pont de nos bras passe
    Des éternels regards l’onde si lasse

    Vienne la nuit sonne l’heure
    Les jours s’en vont je demeure

    L’amour s’en va comme cette eau courante
    L’amour s’en va
    Comme la vie est lente
    Et comme l’Espérance est violente

    Vienne la nuit sonne l’heure
    Les jours s’en vont je demeure

    Passent les jours et passent les semaines
    Ni temps passé
    Ni les amours reviennent
    Sous le pont Mirabeau coule la Seine

    Vienne la nuit sonne l’heure
    Les jours s’en vont je demeure

    Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913


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  • Bon samedi !

    Enfance

     

    Au jardin des cyprès je filais en rêvant,
    Suivant longtemps des yeux les flocons que le vent
    Prenait à ma quenouille, ou bien par les allées
    Jusqu’au bassin mourant que pleurent les saulaies
    Je marchais à pas lents, m’arrêtant aux jasmins,
    Me grisant du parfum des lys, tendant les mains
    Vers les iris fées gardés par les grenouilles.
    Et pour moi les cyprès n’étaient que des quenouilles,
    Et mon jardin, un monde où je vivais exprès
    Pour y filer un jour les éternels cyprès.

    Guillaume Apollinaire


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  • Bon vendredi !

     

    Crépuscule


    À Mademoiselle Marie Laurencin.

    Frôlée par les ombres des morts
    Sur l’herbe où le jour s’exténue
    L’arlequine s’est mise nue
    Et dans l’étang mire son corps

    Un charlatan crépusculaire
    Vante les tours que l’on va faire
    Le ciel sans teinte est constellé
    D’astres pâles comme du lait

    Sur les tréteaux l’arlequin blême
    Salue d’abord les spectateurs
    Des sorciers venus de Bohême
    Quelques fées et les enchanteurs

    Ayant décroché une étoile
    Il la manie à bras tendu
    Tandis que des pieds un pendu
    Sonne en mesure les cymbales

    L’aveugle berce un bel enfant
    La biche passe avec ses faons
    Le nain regarde d’un air triste
    Grandir l’arlequin trismégiste

    Guillaume Apollinaire


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  • Bon jeudi !

     

    Clotilde


    L’anémone et l’ancolie
    Ont poussé dans le jardin
    Où dort la mélancolie
    Entre l’amour et le dédain

    Il y vient aussi nos ombres
    Que la nuit dissipera
    Le soleil qui les rend sombres
    Avec elles disparaîtra

    Les déités des eaux vives
    Laissent couler leurs cheveux
    Passe il faut que tu poursuives
    Cette belle ombre que tu veux

    Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913


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  • Bon mercredi !

    Automne malade

    Poème d'Apollinaire

    Automne malade et adoré
    Tu mourras quand l’ouragan soufflera dans les roseraies
    Quand il aura neigé
    Dans les vergers

    Pauvre automne
    Meurs en blancheur et en richesse
    De neige et de fruits mûrs
    Au fond du ciel
    Des éperviers planent
    Sur les nixes nicettes aux cheveux verts et naines
    Qui n’ont jamais aimé

    Aux lisières lointaines
    Les cerfs ont bramé

    Et que j’aime ô saison que j’aime tes rumeurs
    Les fruits tombant sans qu’on les cueille
    Le vent et la forêt qui pleurent
    Toutes leurs larmes en automne feuille à feuille
    Les feuilles
    Qu’on foule
    Un train
    Qui roule
    La vie
    S’écoule

    Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913

    Poème d'Apollinaire


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